Rue Berthier du Palier

- Mais toi,  es-tu si joyeux ? Tes yeux sont mornes comme la mer en novembre…

- C’est que le Figaro m’a encore refusé une chronique dont j’étais bien content, pourtant. On me l’a appris par un petit billet circonstancié dont deux mots m’ont fait plus de peine encore que le refus lui-même : trop mordant, m’ont-ils dit. C’est à n’y rien comprendre !

- Tu les penses sincères ?

- Oh, ils étaient très accoutumés à cette dame qui a longtemps tenu la rubrique. Je l’ai croisée quelquefois. Une pauvre petite femme grise, avec un joli talent malicieux, très frais, très subtil. Son imagination et sa patiente obstination devaient lui tenir lieu de carnet mondain, car je ne l’ai jamais vue à Trouville ni à Cannes. Et l’on voyait bien qu’elle ne déjeunait pas toujours en suffisance. Tu sais qu’elle est morte de phtisie ?

- C’est tragique. Mais tout de même, tu ne mérites pas cette sévérité. Laisse tes mondanités, ton talent ne leur doit rien. Tu es mordant parce que trop lucide, et trop jeune aussi, peut-être…

(à suivre)