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La datcha hantée
29 avril 2012

Rue Berthier du Palier

- Sais-tu ? Trop de vivants me tombent des mains.

- Et quand ils ne le seront plus, à quoi bon le leur dire ?

- Il y en a tout de même un dont je suis bien content. Et je ne suis pas le seul. Écoute un peu :

C’est un beau privilège que de pouvoir lire, imprimer et même garder tout près de notre cœur - c’est-à-dire sur la table de chevet, dans notre sac, sous le pot à crayons, entre nos boîtes à musique préférées ou bien encore avec l’obséquieux  sécateur toujours au garde-à-vous sous le banc de l’entrée, enfin partout où la main n’a jamais besoin d’yeux pour se saisir de l’essentiel de la vie – oui, garder tout près de notre cœur cet inestimable petit trésor de joie, de mâle tendresse, d’érudition, d’enfance et de pirouettes sautant par-dessus les siècles, qu’est le discours de réception de François Weyergans à l’Académie française (1). C’est bien simple, à le lire, chacun voudrait être lui tout en restant soi. C’est bien le plus grand signe d’amour que l’on puisse ressentir, il nous semble. Et qu'y a-t-il, pour lui, de plus important ? Souvenons-nous des dernières lignes de Franz et François : Dans un demi-sommeil, j’ai pensé : Il n’y a que l’amour qui compte vraiment, peu importe comment il se manifeste. Jamais aucune phrase ne fut plus indispensable aux nouveaux-nés comme aux agonisants, jamais aucun viatique ne fut à la fois plus précieux et plus léger à porter sur les chemins des âges intermédiaires. Oh, évidemment, je ne connais personne qui ait besoin d’être convaincu de la valeur des textes de François Weyergans, même si certains, à l’autre bout de l’océan, ignorent peut-être jusqu’à son nom, car le monde est si vaste qu’il est impensable d’y croiser tous ses contemporains. C’est d’ailleurs dommage, pour eux comme pour nous, encore que croiser soit souvent peu de chose, à peine une poussière d’empathie qui trouble un instant la vue comme le ferait un mirage. Non, il faut pousser plus fort la porte, ce qui signifie évidemment lire longuement plutôt que « voir en vrai » un auteur qui, s’il est homme de qualité, fait rarement montre de l’exubérance charmeuse d’un animal de cirque.

Enfant, Weyergans s’entraînait déjà à l’éprouvant exercice de l’éloge, ce qui démontre que les passions bizarres et les fantaisies précoces peuvent donner plus tard de très beaux fruits. Et le voilà élu au fauteuil de Maurice Rheims, à prononcer un discours qu’on voudrait apprendre et se réciter, tantôt pour s’exalter, tantôt pour se consoler. On n’est jamais seul. Il y a les souvenirs, les objets, dit-il. Nous nous entourons d’objets, moins par goût, quoi qu’on en dise, que par superstition, par un vieux reste indomptable de fétichisme, par un besoin de se rassurer. Je ne sais pas Weyergans très collectionneur et d’ailleurs il ne s’attarde guère sur le motif. Les objets, les artefacts comme on dit savamment, sont d’irremplaçables matériaux sur lesquels reposent, s’affalent, se prélassent d’innombrables concepts. Pourtant, hélas, un objet qui parle est à coup sûr dans les mains d’un habile ventriloque. Mais il y a tout le reste. Alors négligeons les lampes à huile, les en-tout-cas de maroquin crispé, les écritoires de voyage des maréchaux d’Empire, les commodes sauteuses, les trumeaux à bergeries, les vases étrusques, et emparons-nous plutôt de Macaire Le Copte, Berlin mercredi, La démence du boxeur, Le Pitre, et de tous les autres !

 (1) http://www.academie-francaise.fr/immortels/discours_reception/weyergans.html

- Tu triches ! Il est immortel !

- Je te l'accorde, mais il s'agit d'un immortel très vif.

(à suivre)

Capture d’écran 2012-04-29 à 15










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