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La datcha hantée
19 juin 2012

Jean-Loup Fauvette secret Dans le cadre d’une

Jean-Loup Fauvette secret

Dans le cadre d’une monographie consacrée à l’écrivain singulier que fut Jean-Loup Fauvette, je me vis confier le redoutable honneur d'une étude exhaustive de ses archives personnelles. Ce fut un fabuleux voyage. En effet, si l’œuvre de cet auteur prolixe et trop tôt disparu connut un temps l’oubli qui frappe les plus grands dès qu’ils cessent, bien malgré eux, d’écrire, il n’en reste pas moins l’un de nos plus talentueux historiens, biographes, poètes, essayistes, romanciers, linguistes. Oui, Jean-Loup Fauvette sut être tout cela, et avec un égal bonheur. Et si parfois la verdeur ou l’âpreté de sa plume purent sembler les fruits amers d’un  génie par trop mélancolique, on y trouva continûment les bienfaits d’une analyse pénétrante et, faut-il le rappeler ici, d’un humanisme sincère. Oui, il faut relire Jean-Loup Fauvette, pour s’abreuver encore à cette pensée profonde et foisonnante que l’on découvrira ici sous un jour nouveau et bien surprenant, si surprenant qu’il serait légitime de s’interroger sur l’authenticité de ce témoignage, pourtant tracé de sa main même, un été d’il y a près de cinquante ans, sur une simple feuille volante glissée dans l’un de ses carnets intimes et retrouvée, il y a peu, en son domaine de La Vache à l’Aise (Calvados), son antique et très cher repaire où fut enfantée la majeure partie de son œuvre. De cette étrange confession, que penser ? Convenait-il de la laisser inédite à jamais ? Personnellement je ne le pense pas. Mais la décision en appartient désormais au lecteur. C’est lui qui juge, condamne ou absout. Ce texte, le voici.

 

La Vache à l’Aise, ce 12 août 1963

 Je hais les animaux. Enfant, je les adorais. Les chatons lacéraient mes menottes, les chevreaux me chargeaient lorsque j’approchais pour les caresser. Les bêtes sont fourbes et elles ferment leur cœur aux hommes, un point c’est tout. Leur regard nous est définitivement indéchiffrable. C’est pourquoi je considère le régime carné comme une philosophie hautement estimable. Les Pythagoriciens n’étaient que des capons, pour rester poli. Moi, je suis Julien l’Inhospitalier. Ta dzaua tréqueille ! Les animaux courent ! Oui, c’est cela, s’ils me voient,  qu’ils courent ! Sinon... les plus confiants ou les moins couards recevront immanquablement un de ces coups de latte dont j’ai le secret. En cela, j’aime assez les rassemblements, les foules, foires, marchés aux puces, fêtes de village. Il s’y trouve toujours un bichon à pincer ou un grand corniaud à molester. Mes souliers ont une coque d’acier et je ne sors jamais sans ma canne à bout ferré. Les maîtres de ces monstres sont perpétuellement distraits, l’oreille tendue au discours d’un bonimenteur, le nez à l’affût d’une bonne affaire pour leur collection de bimbeloterie, l’œil ébloui par la taille avenante d’une passante, ou bien ils s’arrêtent pour converser avec des amis de rencontre... moi je marche tranquillement, j’arrive à la hauteur de ma victime, de mon bouc émissaire... et là... je frappe dans la viande, l’air de rien... j’ai seulement le temps de jouir du couinement aigu qui fait mon bonheur et ma récompense. Je ne crains ni les astucieux ratiers, ni les caniches hargneux, ni même les Saint-Bernard, ces colosses alcooliques que l’on voit pourvus, dans leur pays natal, d’un petit tonneau de rhum leur pendant au collier. Je ne crains personne non plus. En semaine comme le dimanche, ma silhouette élégante, toujours vêtue de tweed anglais, aussi bien que mon visage digne et bienveillant, quoique chiffonné par les années et certaines intempérances, ne retiennent aucun soupçon. Et les plaintes animales sont généralement courtes et sobres. Sous cet aspect du moins, les bêtes se distinguent des gens, mais cette résignation n’est qu’une preuve supplémentaire de leur imbécilité définitive.

Les femmes, elles aussi, sont des animaux, et je les hais avec la même sainte et salvatrice violence. Regardez-les donc se lécher les pattes, se gratter avec délicatesse, prendre des poses devant le miroir, et tour à tour chipoter leur assiette ou bien la dévorer, bave aux lèvres, en déclarant avec force minauderies  je suis très sensuelle j’adore la vie la beauté les bonnes choses et l’amour ! Leur concupiscence devant les vitrines me dégoûte, de même que leurs contorsions lorsque, parées des plumes du paon, les plus coûteuses de la boutique, elles se pavanent au milieu du troupeau à la seule fin d’attirer les hommages du mâle dominant, moquant avec une cruauté étourdie les femelles déjà grosses d’une prochaine portée, et qui, privées désormais de la vénusté de leurs jeunes années, sont grises, lourdes, ternes, avec un poil rare encore enlaidi de nuances polychromes que leurs toiletteuses appellent balayages, reflets, mais où ne brille, hélas, que l’éclat factice du néant. Ah ! la vanité, ah ! la niaiserie de ces êtres-là... Écoutez-les piailler et jacasser durant des heures, vouer leurs sœurs au cruel Hadès parce qu’elles possèdent un bien dont elles-mêmes sont privées, une cheville de biche, un œil vert, un époux florissant, une position enviable, un amant fidèle... Ce sont des souris malfaisantes, et qui vont partout grouillant, dans les rues, les salons de thé, les universités, les bureaux, les musées, même... Ce qu’elles peuvent comprendre aux choses de l’Art, ces dindes, ces autruches, je préfère ne pas y songer plus avant. Le petit pan de mur jaune de Vermeer, tiens, ce serait bien joli, comme couleur, pour les rideaux du salon, ce serait très frais, très printanier... Et le bleu Klein, pour le nouveau canapé, qu’en penserais-tu, mon chéri ?  Voilà tous leurs soucis, voilà le fond de leur âme ! Se goinfrer de sucreries, lustrer leur poil, séduire, s’accoupler, élever leur progéniture pour en faire des rats, des agneaux, des vautours, des bœufs, des hommes.

Alfonsine

Capture d’écran 2012-06-20 à 16


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